Victor GIRARD
photographe à Nantes en 1900

Biographie de Victor Girard (1867-1954)
Article paru dans Presse-Océan en 1978.
Victor Girard à l'âge de 85 ans

Victor Girard, témoin et photographe de quelques pages de l'histoire de Nantes

Nom : Girard. Prénom ; Victor. Profession : photographe. Il faut monter quatre étages au numéro 10 de la rue Boileau, à Nantes, pour accéder à cet atelier que panneaux et vitrines signalent au rez-de-chaussée de l'immeuble. Là-haut, le visiteur qui désire passer à la postérité dans l'attitude de son choix accède à une véranda baignée de soleil. Il se trouve dans l'unique studio photographique de Nantes où l'opérateur travaille à la lumière du jour. Victor Girard, à son retour du service militaire, vient de succéder à son père, lui-même photographe, qui a exercé son art pendant vingt-cinq années dans cet atelier de la. rue Boileau. Nous sommes en 1893. Victor Girard fait ses débuts dans une profession où il va déployer d'authentiques qualités d'artiste. Si son nom est aujourd'hui oublié, les tiroirs de son petit-fils, M. François Quennec, habitant Saint-Herblain, renferment de nombreuses photographies, précieux héritage laissé par un grand-père qui fut derrière son objectif un témoin de son temps.

Originaire d'Ancenis, le baccalauréat ès-lettres en poche, Victor Girard prit, en 1885, à l'âge de 18 ans, un engagement volontaire pour sept années au 62ème Régiment d'Infanterie, stationné à Lorient. Durant son séjour en cette ville, il se lia d'amitié avec Alex de Broca, artiste peintre, qui faisait alors de nombreux portraits d'officiers, des paysages et des caricatures. Les deux amis eurent plusieurs fois l'occasion d'être invités à la table de Sarah Bernhardt, à la Pointe des Poulains en Belle-Ile.

La place Royale sous la neige
La bataille des inventaires
Les petits métiers du temps jadis

Pendant son service militaire, le sergent Girard se fit remarquer comme l'un des artistes les plus habiles de son régiment. C'est ainsi que sa participation à la grande fête du Drapeau du 62ème Régiment, qui en cette période revancharde ne pouvait que susciter l'enthousiasme des foules et des corps constitués, lui valut d'être félicité dans les colonnes de « L'Avenir de la Bretagne », du 19 au 21 mai 1891 qui consacrait deux pages à l'événement. Très pacifiquement, Alex de Broca et Victor Girard avaient conçu à cette occasion la décoration de deux salons...

Dégagé de l'autorité militaire, Victor s'installe donc à Nantes. Si son studio bénéficiait de la lumière du jour, le photographe fut pourtant l'un des premiers à disposer de l'éclairage artificiel. Il fit lui-même l'Installation qui comprenait deux rampes parallèles, de grosses lampes de cent bougies, d'une lampe à quartz et d'un tube à mercure .Pour allumer ce tube qui mesurait environ un mètre, il fallait le balancer. Le tube projetait une lumière violette qui défigurait les clients pendant le cliché mais permettait de réaliser d'excellentes photos ! De 1893 à 1910, Victor Girard développa ses photos à la lumière du jour. On ouvrait le châssis composé d'une plaque de verre encadrée de bois, positionnait le cliché de verre en accolant le papier sensible photo, refermait les volets du châssis, puis on exposait le cliché à la lumière du jour. Suivaient les opérations traditionnelles de révélateur, fixateur et rinçage. A l'époque, les produits chimiques employés étalent le cyanure de potassium pour éclaircir les clichés, l'hyposulfite pour le développement et le nitrate d'argent.

Victor ne se contenta pas de rester dans son studio de la rue Boileau. Il descendit dans les. autres rues de Nantes avec ses appareils. Reporter au quotidien Le Phare, il se révéla un étonnant chasseur d'Images. Celles-ci ont été pour une bonne partie conservées par sa famille, et elles témoignent du passé de sa ville.

Le port fut l'un de ses lieux de reportage favoris. Victor Girard a fixé sur ses plaques avec un talent très sûr de majestueux voiliers, le pont transbordeur, les quais encombrés de marchandises, les chantiers navals. Toute l'activité maritime de Nantes se reflète dans ses photographies.

Sa passion de l'armée le conduisait aussi du côté des défilés militaires, des dragons cavalcadant, des canons. Son goût pour le quotidien lui faisait saisir au hasard de ses promenades des anecdotes multiples : les marchés, les petits métiers, les épreuves sportives, le cirque... Quant à son activité de reporter, elle lui valut de suivre de près par exemple les manifestations des inventaires au moment de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, tout autant que les crues de la Loire.

Pendant la guerre 14-18, Victor Girard photographia, si l'on peut dire, le cosmopolitisme de Nantes. Il avait affiché ses tarifs en plusieurs langues, et des soldats venus des quatre coins de monde, Américains, Indiens, Russes, Chinois, Tonkinois, grimpèrent ses quatre étages, pour poser d'une façon martiale. A cet effet, Victor Girard avait réalisé en bois un canon de 75 ainsi que la maquette d'un cavalier sur sa monture. Il suffisait ensuite d'ajuster le portrait de soldat photographié. Les Noirs Américains tenaient à se faire photographier avec la fillette de Victor Girard. Ils envoyaient l'épreuve aux Etats-Unis pour dire qu'en France le racisme n'existait pas.

Enfin, Victor Girard s'était fait une spécialité de la photo stéréoscopique qui permet évidemment d'observer ce début de siècle, en relief. Et puis, un jour de 1919, Victor Girard quitta sa véranda de la rue Boileau pour la bonne raison qu'elle s'était effondrée. Il partit s'installer à Trentemoult avec son matériel photographique. Quand il mourut à Muzillac, à 87 ans, il léguait par ses photographies quelques pages de l'Histoire de Nantes.

A.P.D.

Javascript désactivé - Vous ne pouvez pas voir les commentaires
Voir les commentaires
HAUT