Victor GIRARD
photographe à Nantes en 1900

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Troisième volet de la série de 5 articles "Victor Girard, photographe reporter, a arpenté la ville dans les années 1900" parue dans le quotidien Ouest-France (2002-2003)
Deux formes d'élégance sur le marché de la Petite-Hollande, face à l'Hôtel Deurbroucq.

Victor Girard, photographe reporter, a arpenté la ville dans les années 1900

3) Le fourmillement confus des marchés

François Quennec est le petit-fils de Victor Girard, reporter photographe au Phare à Nantes, de 1893 à 1913 (lire Ouest-France du 21 novembre dernier). Il a conservé plusieurs dizaines de clichés de son grand-père dont nous publions en cette fin d'année une sélection. Voici le troisième volet d'une série de cinq, consacré aux marchés de Nantes, « véritable rouage de la vie des Nantais » décrit par Jules Grandjouan en 1898 dans « Nantes la grise ».

« Chaudement enveloppée dans sa limousine, les pieds dans des socques épaisses, les mains sur sa marmotte, la coiffe soigneusement rabattue sur les oreilles, encadrant une face placide et bonasse, aux yeux fins pourtant, la fermière est assise devant son panier. » Au cours de ses déambulations nantaises racontées notamment dans « Nantes la grise » (lire ci-dessous), le dessinateur, portraitiste et affichiste Jules Grandjouan s'est longuement attardé sur les places de marché. A commencer par celui de la Petite Hollande. Ici, Victor Girard a capté le contraste entre la robe de l'élégante qui fait son marché face à l'Hôtel Deurbroucq et celle de la paysanne assise derrière ses paniers d'osier.

La Halle aux toiles

Elle revient peut-être du marché de la place de la Duchesse-Anne, la petite marchande des quatre saisons, derrière son attelage de chiens. Elle s'apprête alors à traverser le pont de la Rotonde pour aller vers l'usine Lu.
La petite marchande des quatre saisons derrière son chariot tiré par deux chiens revient peut-être de la place de la Duchesse-Anne, autre marché important de Nantes. Elle porte la dormeuse, la coiffe nantaise. Coiffe que l'on retrouve sur la tête des paysannes du marché de Feltre, parallèle à la rue de l'Arche-Sèche. Celui-ci a pris la place de la Halle aux toiles, bâtiment érigé par Mathurin Crucy et démoli en 1896 (à l'emplacement de C & A et du Forum du Livre aujourd'hui), à l'époque musée des Beaux-Arts de la ville. La Halle aux toiles abritait des œuvres d'art offertes par Napoléon, ainsi que les collections des frères Cacault puis celle de Clarke de Feltre, qui donna son nom au musée. Le musée de Feltre se transforma en marché après l'achèvement de la construction de l'actuel musée des Beaux-Arts en 1900.

Conseillères et valets de ferme

Place Viarme enfin, s'est longtemps tenu un marché aux bestiaux, ce qui donnait lieu à de pittoresques scènes d'embouteillages de bétail traversant les rues pavées du centre-ville. Scènes décrites par Jules Grandjouan : « Les femmes ont une vie intense ce jour-là : à la fois conseillères et valets de ferme, ce sont elles qui, dès le matin, ont conduit la bête tirant la longe à pleines mains et qui, sur le champ de foire, restent pendant des heures à la tête de l'animal, brûlées par le soleil ou engourdies par le froid ; ce sont elles aussi qui modèrent l'homme trop pressé de conclure un marché. »

Isabelle LABARRE (Ouest-France)

A l'emplacement de l'ancienne Halle aux toiles, ancêtre du musée des Beaux-Arts de Nantes, se tenait le marché de Feltre, parallèle à la rue de l'Arche-Sèche. Jules Grandjouan y a rencontré des marchandes de coquillages.
Les jours de marchés aux bestiaux, place Viarme, le centre de la ville était encombré de troupeaux conduits par les femmes.

« C'est là un coin bien nantais... »

Jules Grandjouan (1875-1968) a vécu la moitié de sa vie à Nantes. Il a dessiné et décrit sa ville natale dans plusieurs ouvrages dont « Les 28 ponts de Nantes » en 1923. Voici quelques passages de « Nantes la grise » (1898 ; réédité en 1998 chez Coiffard).

La coiffe. « Le climat pluvieux a modifié le costume et la coiffure des paysans. La coiffe est devenue une sorte de clocher en poivrière, cône de dentelle brodée, facile à recouvrir du coiffillon qui la préserve dès que la pluie laisse tomber ses larges gouttes ou que la brume du matin recouvre le sol. » Le château des Ducs. « Pesant et massif, il est lourdement accroupi sur les bords du fleuve, tel un lion vieilli à triple mâchoire de pierre et regarde la ville d'un œil devenu indifférent. »

Le marché de Feltre. « Adossée à une rampe qui descend vers la rue de l'Arche-Sèche et faisant un angle très aigu avec la rue du Calvaire, s'allonge, interminable, l'unique file des marchandes de coquillages dans un encombrement de caisses et de paniers, dans un entrecroisement de piquets soutenant les toiles rapiécées qui servent d'abri. Leurs voix bruissent d'un bavardage incessant : des rires, des appels au client forcé de passer sous le feu de leurs offres et de leurs moqueries. »

Marché de la Petite Hollande. « Rien n'est plus curieux et plus vivant à la fois que le marché de la Petite Hollande le samedi matin. C'est là un coin bien nantais, tant par le décor de grisaille argentée que par la physionomie et le costume de marchands et des chalands. (...) C'est un fourmillement confus où les citadins vont et viennent entre les rangs de paysannes, debout ou accroupies parmi leurs paniers, longue file de vêtements sombres tiquetés de points blancs, les coiffes. »

Marché de la place Viarme. « Et tout de suite, on entre dans la cohue. Les larges flancs roux des bêtes vous frôlent de leurs écailles. (...) Aucune impression d'ensemble n'est possible, on ne peut rien fixer et dans la cohue bruyante où il faut éviter les coups de corne, de pied et de fouet, étourdi par la vie intense qui circule dans ces paysans, on perd pied un instant et on a peine à se ressaisir. »

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